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L'élection présidentielle française de 2022

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Dimanche a lieu le premier tour de l'élection présidentielle française de 2022. C'est l'élection la plus importante de notre pays et il n'est pas complètement anodin de rappeler en quoi consiste une élection présidentielle dans notre pays. Il s'agit d'un scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Ce qui signifie qu'on ne peut voter que pour une seule personne, on ne vote pas pour un parti, pour une liste, ou pour un "ticket". Cela veut dire aussi que pour être élu, il faut obtenir la majorité des suffrages exprimés (le mot-clé est "exprimés" puisque comme on ne compte ni les blancs ni les nuls, c'est assez simple). Enfin, cela signifie que dans le cas très probable où personne n'obtient de majorité absolue, un deuxième tour est organisé deux semaines plus tard avec les deux candidats qui ont obtenu le plus de suffrages lors du premier tour.

Note : je vais utiliser dans cet article le terme (à mes yeux impropre) de "finaliste" pour désigner les deux personnes arrivées en tête du premier tour qui sont présentes au second tour de l'élection présidentielle. Le but principal de cette manœuvre est d'éviter d'utiliser trop de mots. Merci de votre compréhension.

Pour être plus clair, le seul intérêt du premier tour de l'élection présidentielle en France est de déterminer ces deux finalistes. La fonction de cette élection est de déterminer deux candidats pour pouvoir faire une autre élection un peu plus tard. On pourrait croire que je me répète, mais je veux bien insister sur ce point, car j'ai vraiment l'impression dans l'espace médiatique que personne ne comprend vraiment le but du premier tour de l'élection présidentielle.
On laisse croire aux gens qu'il faudrait voter pour un candidat qui nous plait, qui nous parle bien ou qui nous correspond. On voit même des jolis petits tests un peu partout sur Internet qui veulent nous dire avec quel candidat nous avons le plus en commun ou alors de manière plus directe pour qui on devrait voter. Cette formule est très similaire à d'autres concepts modernes comme "quel super-héros êtes vous?" "quelle série êtes-vous?" "quelle mascotte de dessin animé vous ressemble le plus". Toutes ces choses veulent nous faire croire que le vote serait d'abord un acte personnel, qu'il serait une manière un peu étrange d'affirmer son identité ("Oh, j'aime les saucisses donc je vais voter pour Roussel"). Mais, ce n'est pas ça une élection. Une élection n'est pas un acte individuel, mettre un bulletin dans une urne ne dit rien de vous, de votre tempérament, de vos valeurs. La culpabilité que l'on met sur les gens dans ce pays est vraiment incroyable, j'ai lu des centaines de messages de personnes qui disaient regretter avoir voté pour Macron en 2017. On ne parle même pas du premier tour, certains regrettaient le vote du deuxième tour. Ce n'était même pas des sympathisants d'extrême droite qui voulaient la victoire de Marine Le Pen, c'étaient des gens qui étaient déçus de la politique menée par Emmanuel Macron (et c'est normal) et qui s'en voulaient d'avoir voté pour lui. Ces gens se sentaient responsables de ce que quelqu'un d'autre avait fait uniquement parce qu'ils avaient mis un papier dans une urne il y a cinq ans, c'est proprement délirant.
Là, je voulais placer tout un paragraphe sur la dérive individualiste et néolibérale de l'acte du vote où la chose publique est rapidement éliminée au profit de la validation personnelle de l'individu, je voulais même placer "There is no such thing as society" de Margaret Thatcher mais en fait j'ai la flemme.

Il existe dans ce pays des élections intermédiaires où on peut se permettre un peu plus de liberté dans le vote. Par exemple, en 2019 il y a eu des élections européennes qui se déroulaient à la proportionnelle. Nous votions pour des listes et chaque liste envoyait un certain nombre d'élus au parlement européen proportionnellement à leur résultat tant qu'elle obtenait plus de 5%. En ce temps là, je me souviens qu'un certain "professeur de philosophie" assez influent dans ce pays s'était ridiculisé en expliquant qu'il fallait absolument voter pour LREM si on n'aimait pas le Rassemblement National car c'était les seuls qui pouvaient arriver en tête du scrutin. Cette remarque était ridicule pour plusieurs raisons mais la principale c'est que ce monsieur appliquait la logique de notre élection présidentielle à un scrutin où cela n'avait aucun sens. Il était tout à fait rationnel de voter pour un petit parti à l'époque, le fait d'arriver en tête n'apportait aucun bonus particulier et même si techniquement, le RN était bien arrivé devant LREM, cela ne voulait rien dire puisque les deux listes avaient obtenu le même nombre d'élus à la fin. Ce que je veux montrer avec cet exemple, c'est que je ne suis pas dans l'avis que seuls les grands partis comptent dans ce pays et qu'il est absurde de vouloir voter pour des "petits partis". Je dis juste qu'il faut accepter les règles du scrutin qui nous est imposé et que dans le cadre du premier tour de la présidentielle, seuls les finalistes comptent. En 2017, Benoit Hamon aurait pu obtenir 2% ou même 12%, je doute fortement que quoi que ce soit serait différent aujourd'hui.

Pour bien comprendre de quoi il s'agit en parlant du premier tour comme devant choisir des finalistes, j'ai eu l'idée d'explorer les dix élections présidentielles au suffrage direct de la cinquième république (de 1965 à 2017) et de voir si à chaque fois, il existait une possibilité que les finalistes soient différents : (je considère ici qu'un candidat pouvait théoriquement atteindre le second tour si l'écart avec le deuxième finaliste est inférieur à 5%, un critère absolument non scientifique que je trouvais néanmoins le plus parlant) On peut donc remarquer que sur ces dix élections, la moitié disposait d'un premier tour que je qualifierais d'ennuyeux avec l'identité des finalistes facilement prévisibles et l'autre moitié pouvait présenter quelques rebondissements. Il est cependant à noter que les rebondissements n'arrivent presque jamais, il n'y a qu'en 2002 que les finalistes des sondages ne se transformèrent pas en finalistes des urnes.

Le but n'est pas de tourner autour du pot, les sondages sont unanimes et l'ont été pendant la quasi-intégralité du mandat d'Emmanuel Macron : les finalistes seront Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Maintenant la seule question est : peut-il y avoir un réel rebondissement (qui je le rappelle, n'est arrivé qu'une seule fois au cours des dix élections) ? J'ai "calculé" de manière brouillonne et peu méthodologique la moyenne des sondages pour les principaux candidats en prenant en compte la dernière semaine. En gros on trouve : J'ai volontairement omis les candidats insignifiants qui peinent à dépasser les 5% pour alléger la démonstration. Zemmour et Pécresse se sont écroulés et ne peuvent plus être finalistes, je suis extrêmement confiant quand j'affirme cela. La seule véritable question concerne le candidat Mélenchon, est-il envisageable d'imaginer que ce candidat puisse remonter les 6% qui le séparent de Marine Le Pen ? Probablement pas. En effet, nous l'avons vu plus haut, le seul candidat qui a réussi à intégrer les finalistes par surprise est Jean-Marie Le Pen en 2002. Si j'utilise la même méthode de calcul brouillonne et peu méthodologique aux sondages de 2002 trois jours avant le vote j'obtiens : Comme vous pouvez le voir, Le Pen n'avait "que" 5% de retard sur Jospin mais surtout les pourcentages étaient beaucoup plus bas ce qui permet plus facilement d'observer des perturbations.

Maintenant, revenons à l'élection de 2022. Je vais donc distinguer deux univers différents et incompatibles pour décrire notre réalité. Intéressons-nous tout d'abord à l'Univers A. Dans ce cas, la raison d'être du premier tour est rendue nulle. Il n'y a que deux possibilités :

L'univers B maintenant présente une alternative. Il y a trois finalistes possibles ce qui donne donc (pour être exhaustif) trois second tour possibles : Je vais commencer avec le scénario C parce que c'est le plus effrayant. Comme je l'ai dit, je tenais à être exhaustif, mais soyons sérieux quelques minutes, je pense que la probabilité du scénario C est nulle. Cela peut sembler hypocrite ou naïf ou contradictoire par rapport à mes précédentes prédictions mais à titre personnel, je ne vois pas le scénario C se produire. Cependant, si le scénario C vous terrifie (et il devrait), la chose la plus logique à faire est de glisser un bulletin Macron dans l'urne dimanche. Le scénario C conduirait probablement à la victoire de Marine Le Pen et donc si on considère même qu'il n'y a que 1% de chances que cela se produise, il faut agir pour l'empêcher et la seule manière de l'empêcher c'est d'utiliser sa voix pour emmener le président sortant au second tour.
Mais à titre personnel, je ne considère pas le scénario C comme possible donc je vais expliquer les choses comme je les vois. Le président Macron sera finaliste, il reste deux possibilités : (bien entendu, pas la peine de le rappeler, le scénario B est beaucoup moins probable que le scénario A)
Il n'y a donc dans l'Univers B que deux issues possibles à la fin de l'élection : une victoire d'Emmanuel Macron ou une victoire de Marine Le Pen.
Et maintenant, nous allons mettre fin à beaucoup d'hypocrisie et casser le tabou qui entoure l'élection présidentielle dans ce pays et qui empêche beaucoup de gens d'exprimer clairement leurs envies. Je ne vais pas faire semblant d'ignorer que l'élection se joue en deux tours et que l'on peut réfléchir au second avant la tenue du premier. Je veux que Emmanuel Macron gagne cette élection présidentielle. Parmi tous les scénarios possibles (les deux) c'est celui que je trouve le plus positif (et probablement vous aussi, parce que si vous désirez la victoire de Marine Le Pen, je me demande bien comment vous avez atterri ici).
Donc, maintenant que nous avons décidé ce que nous voulons : une réélection de Macron et ce que nous ne voulons pas : une élection de Marine Le Pen, quel scénario est le plus apte à nous apporter ce que nous voulons : le scénario A ou le scénario B ?
La réponse évidente est le scénario B. Donc si on veut voter de manière logique et intelligente par rapport à notre but (la réélection de Macron), il faut voter pour aider le scénario B. Je pars du principe que le statut de finaliste de Macron est déjà accompli (encore une fois, je le répète, si vous avez peur que Macron ne soit pas au second tour, votez pour lui dès le premier, cela ne va pas vous souiller) et donc il faut voter pour Mélenchon. Je vois principalement deux objections à ce choix. La première serait quelque chose comme "Je n'aime pas Mélenchon". Encore une fois, c'est tout à fait possible mais cela n'a aucune importance. Vous n'êtes pas responsable de la personne pour laquelle vous votez et de toute façon on ne vote pas Mélenchon parce qu'on l'aime bien mais parce qu'on ne veut pas de Marine Le Pen au deuxième tour. Une autre objection serait "Si tu votes Mélenchon et qu'il finit quand même troisième, ce sera un vote inutile". Je suis tout à fait d'accord avec ça, effectivement cela n'aurait servi à rien mais cela n'aurait pas plus servi que de voter pour littéralement n'importe quel autre candidat et encore une fois, dépassionnons le vote, cela ne veut rien dire de regretter d'avoir voté pour quelqu'un, le vote n'a de sens que le jour de l'élection.

J'ai un peu menti par omission depuis le début de cet article et par honnêteté intellectuelle, je me sens obligé de le mentionner. Il existe une conséquence matérielle observable au vote même pour les candidats qui ne sont pas finalistes. En effet, lorsque vous obtenez plus de 5% des suffrages exprimés, vos frais de campagne sont remboursés. On peut donc imaginer que dans un cas où vous ne vous sentez pas capable d'influer sur les finalistes, vous voudriez aider votre petit parti préféré à dépasser les 5%. Cette année, le plus proche du seuil est Yannick Jadot pour EELV qui frôle les 5% (ma prédiction personnelle, c'est qu'il fera moins). Si vous vous préoccupez donc des partis, il peut sembler rationnel de les aider à avoir un peu d'argent.

En conclusion, faites ce que vous voulez, mais rappelez-vous que le but final c'est d'élire un président, pas d'être content. (08/04/2022)

Notes

* J'écrirai peut-être un article pour le deuxième tour mais je pense que je suis déjà assez clair ici.

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