Dimanche, la France a voté. Enfin non, pas la France, les français ont voté. Enfin, pas tous les français, la moitié seulement (ce qui en fait est un assez bon chiffre comparé aux élections précédentes, mais ce n'est pas le sujet). Enfin non, pas la moitié des français, la moitié des électeurs inscrits (ce qui enlève plusieurs millions d'enfants). Si on veut chipoter dans le sens inverse, on fera remarquer que la France n'est pas le seul pays à avoir voté, mais que toute l'Europe a participé. Cette phrase est fausse, mais j'ai remarqué que la télévision adore utiliser le terme d'Europe pour désigner l'Union Européenne alors que ce sont quand même deux concepts bien distincts. Donc non, l'Europe n'a pas voté, l'Union Européenne a voté, mais en fait non parce que l'Union Européenne ce n'est pas une personne et je vais m'arrêter là parce que je pense que vous avez compris la figure de style maintenant.
Donc, dimanche soir, la télévision a annoncé les résultats. Les résultats étaient surprenants au début et certains cas particuliers n'étaient pas encore bien résolus. Nous avons donc attendu le lendemain pour enfin avoir les résultats officiels. Le consensus médiatique s'est dégagé très rapidement, dès dimanche soir et il fut répété de nombreuses fois sur les nombreuses chaînes (publiques ou privées) de notre beau pays. J'ai donc préféré attendre que les choses se calment pour écrire ce compte-rendu. Nous sommes jeudi 30 mai, quatre jours après le vote, il est temps de tenter d'expliquer ce qui s'est passé.
Vous vous souvenez certainement que j'avais tenté d'expliquer que l'ordre ne comptait pas lors de cette élection et qu'il fallait se concentrer sur le score. Ce conseil n'a malheureusement pas été suivi, tout le monde a titré "Victoire du RN", "le RN a remporté les élections", "Le RN devant LREM". Même s'il est vrai que la liste RN est la liste ayant reçu le plus de suffrages, il est mensonger d'affirmer que cela signifie quoi que ce soit. De plus, l'écart entre le RN et LREM est bien moins important que ce qui était prévu, seulement 0,9%. En 2014, le FN (l'ancien nom du RN) avait 4% d'avance sur l'UMP (l'ancien nom de LR), un score national de 24,86% (même s'il n'y avait pas de liste nationale à l'époque donc on ne peut pas vraiment utiliser le nombre aussi définitivement) et avait remporté 24 sièges sur 74. Cette année, le RN a moins d'1% d'avance sur LREM, un score national de 23,34% et remporte 23 sièges sur 79. Je ne prétends pas que ce n'est pas inquiétant, mais ce n'est pas une surprise et il est difficile de trouver un curseur qui montre une évolution positive pour le RN. Pourtant, bon nombre de commentateurs ont évoqué "la montée du vote RN" et autres euphémismes sans jamais préciser bien sûr quelle était cette montée ou cette ascension. D'autres parlent du RN comme du parti qui a "gagné les élections", ce qui est encore une fois absurde. On gagne une élection présidentielle ou une élection de délégués de classe mais on ne peut pas gagner les élections européennes. Le seul résultat qui a un sens, c'est le nombre de sièges remportés, LREM et le RN ont tous les deux remporté 23 sièges, c'est un fait, voilà ce qu'on peut dire si on veut être précis.
L'autre côté de ce ridicule duel c'est l'avalanche de personnes qui s'exclament "c'est une défaite pour la majorité", "le président mis en déroute", "LREM a perdu les élections" (celui-là est vraiment idiot). Il est d'usage pour les partis au pouvoir de ne pas répliquer leur score de la présidentielle aux élections intermédiaires, c'est un phénomène assez fréquent et qui s'observe souvent. De plus, LREM a obtenu un score tout à fait convenable : 22,42% (à peine moins qu'au premier tour de la présidentielle) et je vais le rappeler pour la troisième fois (je n'ai pas compté mais j'ai l'impression que c'est la troisième fois) : LREM a gagné 23 sièges, autant que le RN, et c'est le seul critère qui compte. Rappelez-vous en 2014, le PS obtenait 14% après deux ans au pouvoir, là on peut vraiment parler de désaveu, ce n'est pas le cas pour LREM (on peut d'ailleurs le regretter, mais ce n'est pas la question ici).
Pour en finir avec nos deux gagnants, il y a un point qui est insupportable et qui est lui aussi repris en boucle sur toutes les chaînes de la télévision : la polarisation de la vie politique française autour de ces deux partis. Après des mois où LREM n'a cessé de dire "Attention, il faut absolument que l'on arrive en tête devant le RN. Vous comprenez, l'avenir du monde en dépend, c'est soit nous soit les méchants populistes. Le seul combat qui vaille c'est de savoir si c'est nous ou le RN" maintenant, ils font genre "C'est terrible, rendez-vous compte, aucun parti autre que le nôtre ne peut battre le RN. Il n'y a que nous deux." Que ce discours soit repris dans son exact inverse par le RN est très logique, c'est un honneur que d'être choisi pour incarner l'"opposition officielle" mais que les observateurs répètent ce constat sans jamais le nuancer est un peu plus énervant. La somme de ces deux partis n'atteint pas 50%, alors parler d'un nouveau bipartisme est un peu précipité. Nous rappellerons en plus qu'aucune grande ville (à part Lyon d'une certaine manière), aucune région, aucun département français n'est dirigé par l'un de ces partis. Tant qu'il n'y aura pas de vraies élections locales (les municipales, c'est dans un an), il ne sert à rien d'inventer une pseudo-reconfiguration. Je ne me souviens pas il y a 5 ans que les gens s'exprimaient "L'UMP et le FN sont les deux seuls partis maintenant, personne ne dépasse 15% à part eux" alors pourquoi réagir comme cela aujourd'hui ?
La liste EELV est donc arrivée troisième, ceci en soi n'est pas une information très importante puisque l'ordre est finalement peu important (je me répète, non ?), ce qui compte c'est leur score de 13% bien au-dessus de ce que laissait espérer les sondages (et donc mon modèle). Les listes écologiques ont obtenu de bons scores dans plusieurs pays, notamment en Allemagne et donc l'angle était tout trouvé : c'est une "vague verte". Pour être tout à fait honnête, je ne connais pas très bien la situation allemande mais il me semble que la progression des "Grünen" est un phénomène de fond au niveau national qui existe depuis plusieurs années au profit de la chute du SPD social-démocrate. Le Parti Vert dans ce pays est ainsi considéré comme un parti sérieux qui a une réelle base et des résultats et qui peut servir de partenaire pour former des coalitions. Yannick Jadot, tête de liste EELV et éphémère candidat à la présidentielle de 2017, s'est complètement enthousiasmé et a imaginé pouvoir donner à son parti le succès de ses compatriotes allemands. Malheureusement (pour lui), ça ne se passe pas comme ça chez nous. Dans son discours il s’imaginait ainsi pouvoir "prendre le pouvoir" en visant implicitement la présidentielle de 2022 comme s'il y avait un lien entre une performance aux Européennes et un succès au niveau national. Souvenez-vous qu'en 2009, EELV atteignait 16% des suffrages à égalité avec le PS, lors de la présidentielle de 2012 leur candidate Eva Joly obtenait 2,31% des votes exprimés.
Les LR ont un score catastrophique, ils n'ont jamais eu un niveau aussi bas et c'est encore pire car c'était une véritable surprise. Tous les sondages les donnaient 3è et personne ne les mettait à moins de 11%, ils n'étaient donc pas préparés à cet échec. Ce qui est marrant, c'est que vers la fin de la campagne, les journaux de droite avaient commencé à vouloir se rassurer en parlant de "l'effet Bellamy", du "pari réussi de Wauquiez" parce qu'il avait quelques sondages où les LR avaient gagné un point. Je me souviens qu'ils étaient assez satisfaits en mode "On n'est pas encore morts, on va faire 15%, c'est bien, ça montre qu'on existe encore". Jamais la "droite de gouvernement" (je déteste ce terme mais c'est pour qu'on comprenne de quoi on parle) n'était tombé en dessous de 10% même pas à l'époque où ils se partageaient le terrain avec l'UDF. Il est intéressant de noter que le PPE (le parti auquel appartient LR au niveau européen) est le premier parti représenté au Parlement alors qu'il représente à peine 10% de la délégation française. Souvenez-vous qu'en 2017, François Fillon, après l'une des pires campagnes possibles et un acharnement médiatique intense durant plusieurs mois arrivait quand même à 20% au premier tour de la présidentielle, il y a donc clairement eu une fuite massive des électeurs LR, mais vers qui ? (En fait on le sait, c'est LREM). (30/05/2019)
Notes
* Je vous vous rappelle que les résultats précis sont tous disponibles ici, la page de mon ancien modèle qui ne s'est en moyenne trompé que de deux sièges par liste.