Il y a deux semaines, j'abordais le cas de Sylvie Goulard et je me demandais s'il existait un décalage entre les conditions pour participer au gouvernement et celles pour représenter la France au sein de l'Union Européenne dans ce qui est supposée être l'institution la plus prestigieuse. Le problème se pose de nouveau aujourd’hui mais de manière encore plus étrange pour Richard Ferrand, le président de l'Assemblée Nationale.
Pour bien comprendre cette histoire, il faut remonter à la campagne présidentielle de 2017 et aux primaires de la droite. C'est en août 2016 lors d'un meeting que François Fillon, ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy, se moque des ennuis judiciaires de l'ancien président par la question rhétorique "Qui imagine un seul instant le Général de Gaulle mis en examen ?". Fillon remporte par la suite les primaires et tous les sondages le donnent favori pour mai 2017. Le conte de fée prend fin le 25 janvier lorsque le Canard Enchaîné révèle que Pénélope Fillon (la femme de François Fillon) a touché plus de 500 000 euro en tant qu'"assistante parlementaire" de son mari. La raison pour laquelle c'était très grave, c'est que le journal mettait en doute le travail de Pénélope Fillon et suggérait qu'il s'agissait d'un emploi fictif payé avec l'argent des contribuables. C'est ce jour-là que BFMTV entra en édition spéciale "Affaire Fillon" pour une durée de trois mois. La pression médiatique était telle que Fillon ne pouvait pas rester muet, il se rend au 20h de TF1 le 26 janvier, affirme que la situation est tout à fait normale et annonce "Il n'y a qu'une seule chose qui m'empêcherait d'être candidat, c'est si mon honneur était atteint, si j'étais mis en examen". C'était donc la deuxième fois que François Fillon utilisait la limite de la "mise en examen" qui était censé disqualifier tout candidat. Fillon fut mis en examen en mars mais ne se retira pas, cette affaire plomba sa campagne, il finit 3è avec 20% des suffrages exprimés. Cette affaire fut par contre une aubaine inespérée pour Emmanuel Macron, le futur président. Macron qui faisait campagne sur un grand flou, un mélange de "nouvelle politique", "dépasser la gauche et la droite", "transformer le pays" et autres platitudes s'empressa de se présenter comme le candidat de la transparence. Macron promettait une république exemplaire avec de nouvelles réformes pour encadrer les excès des élus et autres. Après l'élection, lorsque le premier gouvernement Philippe fut dévoilé, le Premier Ministre présenta la nouvelle règle : Un ministre mis en examen doit démissionner. L’exécutif était très content de sa nouvelle règle, qui n'avait pas vraiment de sens juridique, mais qui simplifiait beaucoup la situation.
La règle ne fut jamais vraiment comprise par les médias, ni véritablement appliquée par le gouvernement par la suite. Dès les premières semaines, la règle dut être redéfinie. François Bayrou, le nouveau Garde des Sceaux, était mis en examen depuis novembre 2016 alors le Premier Ministre dut expliquer que ce n'était pas pareil puisque qu'il était poursuivi pour "diffamation". La règle était donc définie : Un ministre mis en examen (sauf si c'est pour diffamation) doit démissionner. La règle devait aussi être comprise comme "Tant qu'il n'y a pas de mise en examen, un ministre ne doit pas démissionner" mais malheureusement, cette interprétation ne dura pas un mois. En effet, Sylvie Goulard, François Bayrou et Marielle de Sarnez (je n'ai jamais vraiment compris si elle avait démissionné personnellement ou si elle constituait un lot avec Bayrou) quittèrent le gouvernement suite à l'affaire des emplois fictifs du MoDem alors que personne n'avait été mis en examen. Richard Ferrand a quitté le gouvernement à la même occasion, sans être jamais mis en examen, et plus récemment, François de Rugy quitta le gouvernement alors qu'aucune action légale ne le concernait et qu'une semaine plus tard il fut "blanchi" (d'après ses dires). Il semble donc qu'entre-temps la règle est devenue : Un ministre dont le nom fait la une du Canard Enchaîné ou de Mediapart doit démissionner. Cette règle que je viens d'inventer n'est pas non plus respectée puisque d'autres (Muriel Pénicaud par exemple) sont encore au gouvernement bien que liés à plusieurs affaires.
Le cas de Richard Ferrand est donc simple, récapitulons donc l'année 2017 de Richard Ferrand : porte-parole d'Emmanuel Macron pour l'élection présidentielle, exclu du PS pour son soutien à Macron, fait la fête pour l'élection de Macron, présent dans le premier gouvernement Philippe, mis en cause dans l'affaire des Mutuelles de Bretagne (je n'expliquerai pas le fond de l'affaire dans cet article, si vous voulez savoir, cherchez sur Internet), réélu député sous l'étiquette LREM lors des législatives, pas reconduit dans le gouvernement Philippe 2, désigné président du groupe LREM à l'Assemblée en compensation. La présidence du groupe parlementaire n'est pas considéré comme un poste prestigieux ou important donc personne n'a trop râlé. Au bout de quelques mois, l'affaire a été classée sans suite et Ferrand a fait "Aha ! Je vous l'avais bien dit !". Lorsque François de Rugy, le président de l'Assemblée Nationale, fut appelé pour remplacer Nicolas Hulot et devenir ministre, Richard Ferrand fut désigné par le président élu par ses pairs pour accéder au perchoir. Certaines personnes remettaient en cause ce choix mais Ferrand et la macronie brandissaient alors leurs "Haha ! L'affaire est classée, vous ne pouvez rien !". Sauf que depuis, une nouvelle plainte a été déposée et qu'aujourd'hui, le 12 septembre Richard Ferrand est mis en examen.
Ce matin, Richard Ferrand a expliqué qu'il n'avait aucune raison de démissionner, le patron du groupe LREM Gille le Gendre a approuvé ce message, ainsi que le reste des députés LREM, des ministres et la porte-parole du gouvernement. Le président de la République et le Premier Ministre ont eux exprimé leur soutien pour Richard Ferrand. Le président de l'Assemblée Nationale est le 4è personnage de l'Etat, on pourrait donc s'attendre à une grande exigence du fait de l'importance de la fonction. Mais non ! Apparemment, une mise en examen nous empêche d'être Ministre délégué à l'organisation du Territoire (ceci n'est pas un vrai ministère) mais nous autorise à pouvoir présider la source du pouvoir de la République française. L'explication possible vient du fait que l'Assemblée Nationale n'est pas vue comme une entité indépendante mais comme un rallongement de l'exécutif. Cette vision des choses qui s'explique par notre régime très présidentiel (qui ne l'était pas à l'origine en 1958 mais l'est devenu en 1962 sous l'impulsion du général de Gaulle) a été accélérée par le passage au quinquennat et à l'alignement des élections législatives sur l'élection présidentielle. C'est pour cela que le président de l'Assemblée est devenu un personnage que l'on peut faire rentrer au gouvernement lorsqu'il nous manque un ministre ou pour caser un copain qu'on aime bien mais qu'on ne peut pas trop montrer.
Pour le futur de Ferrand, si ça fait comme pour de Rugy, on va avoir droit à une grande défense pendant quelques jours puis subitement, il annoncera sa démission pour "pouvoir se défendre sans affecter le travail de la majorité" puis au bout de deux semaines, il s'en prendra au "buzz" et à la "pression médiatique". On verra bien ce qui va se passer. (12/09/2019)