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La déontologie dans le traitement de la politique américaine

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Comme vous le savez, je suis très attaché au respect de la vérité et je pense que lorsque la télévision prétend vouloir nous informer, elle doit nous informer correctement. Quelle ne fut pas ma stupeur hier soir devant l'émission d'avant prime time de TMC dont je tairai le nom pour ne pas lui faire de publicité. Cette émission de divertissement qui est diffusée de 19h30 à 21h00 (les bons jours) cinq jours par semaine aime à rappeler que ses chroniqueurs sont des gens très sérieux, des journalistes et ils n'hésitent pas à montrer leurs cartes de presse pour le prouver.

Dans l'émission, un journaliste s'était rendu à Las Vegas, Nevada dans le but de couvrir l'élection présidentielle de 2020 (souvenez-vous que les américains sont dans un état de campagne permanente, et qu'aujourd'hui, on compte 18 candidats "sérieux" pour l'investiture du parti démocrate). Jusque là, aucun problème, on nous explique qu'il y a plusieurs candidats, on nous montre un montage où on peut voir Joe Biden, Bernie Sanders, Kamala Harris ainsi que d'autres personnes moins importantes. Le journaliste explique ensuite qu'il a eu la chance de parler à un candidat, un des favoris, précise-t-il même. C'était présenté comme un évènement exceptionnel. L'interview était teasé depuis l'émission de lundi où le journaliste était apparu une minute à l'écran pour dire "Coucou, je suis à Las Vegas et j'ai parlé à un candidat aux primaires démocrates". Il était donc normal de s'attendre à quelque chose de grandiose. Je me doutais qu'il n'avait pas vu Biden ou Sanders mais il avait peut-être rencontré Beto ou le jeune "Mayor Pete" ou Kamala Harris, qui sait ? Non, il avait rencontré Julian Castro...

Bien entendu, le téléspectateur français moyen n'a jamais vu ou même entendu parler de Julian Castro. Le TFM n'a même jamais entendu parler des candidats démocrates pour 2020, il n'a donc aucun moyen de vérifier si le candidat qu'on lui présente est un candidat crédible ou non. La tromperie arrive à ce moment, le journaliste le présente comme un des favoris (ce qui est faux, on y reviendra plus tard), mais il tente de le présenter pour justifier sa crédibilité. Il le présente comme un ancien ministre de Barack Obama et comme ancien maire. Ces deux affirmations sont vraies, mais il faut les replacer dans le contexte de la société américaine.

D'abord la catégorie "ancien ministre d'Obama", la notion de ministre n'existe pas aux USA mais je ne vais pas chipoter sur ce point, car c'est la traduction la plus proche. Monsieur Castro était "Secretary of Housing and Urban Development", un équivalent de notre ministre du Logement (je crois que c'est Denormandie qui se rapproche le plus chez nous). Lorsque le TFM entend "ancien ministre", il se dit quelque chose comme "Ah oui, c'est bien, ça lui fait de l'expérience pour être président". En effet, dans notre pays, depuis Valery Giscard d'Estaing, tous nos présidents (à l'exception de François Hollande) ont exercé des fonctions ministérielles importantes comme Ministre de l’Économie ou Ministre de l'Intérieur (Sarkozy a même été les deux). En France, c'est en étant ministre qu'on se construit une carrière nationale et une notoriété, c'était d'ailleurs la seule expérience d'Emmanuel Macron avant son élection. Sauf qu'aux USA, ça ne se passe pas comme ça. Le dernier président à avoir été Secretary d'un autre président était Herbert Hoover, élu en 1928. Depuis 1944, la seule fois où un parti a nommé un ancien Secretary c'était Hillary Clinton en 2016, même si cet exemple ne marche pas vraiment car Clinton était déjà présidentiable avant d'être nommée par Obama.

Ensuite, la catégorie "ancien maire", il était maire de San Antonio pendant 5 ans. Lorsque le TFM entend "ancien maire", il se dit quelque chose comme "Ah oui, c'est bien d'être maire". En effet, dans notre pays, depuis Valery Giscard d'Estaing, tous nos présidents (à l'exception d'Emmanuel Macron) ont été maires. En France, c'est bien vu d'être maire, car ça veut dire que les gens veulent bien voter pour vous et puis, les élections municipales sont celles qui voient la plus forte participation donc c'est plus légitime. Sauf qu'aux USA, ça ne se passe pas comme ça, le dernier président à avoir été maire était Calvin Coolidge, le prédécesseur de Herbert Hoover. Depuis 1944, la seule fois où un parti a nommé un ancien maire c'était Hubert Humphrey en 1968, même si cet exemple ne marche pas vraiment car Humphrey était à l'époque le vice-président et c'était en cette qualité qu'il fut choisi.

Si on regarde l'expérience des candidats à la présidentielle de l'époque moderne (post-1944), ils ont tous (à l'exception de Donald Trump et du Général Eisenhower) effectué au moins une de ces trois fonctions : Sénateur, Gouverneur, Vice-Président. Julian Castro n'est aucune de ces trois choses. Seulement, vous pouvez me dire que le passé ne compte plus depuis l'élection de Trump qui a défié les conventions. En effet, c'est possible, mais présenter un candidat comme favori avant de détailler son expérience alors qu'aucun président n'avait ce genre d'expérience, je trouve ça incorrect.

Il se trouve que cela fait quelques mois que les principaux candidats sont connus, même s'ils ne sont pas tous déclarés (Biden n'est pas encore officiellement candidat). Il existe des sondages des primaires démocrates et même si nous sommes bien avant les premiers "votes", ils peuvent nous donner une relative idée des rapports de force. J'ai donc effectué une représentation selon mes propres critères, j'ai pris les sondages les plus récents des différents instituts qui ont publié des sondages dans les 30 derniers jours. J'ai retiré les sondages qui ne me plaisaient pas parce qu'il y avait Hillary Clinton (sérieusement!) et j'ai calculé la moyenne des différents candidats en arrondissant à l'entier le plus proche. J'ai essayé de mettre tous ceux qui avaient un score supérieur à 0 mais il est possible que j'ai loupé deux ou trois candidats mineurs. Voilà le résultat, souvenez-vous que ce n'est pas un travail sérieux et que ces chiffres ne représentent pas grand chose : Si vous ne comprenez pas cette liste avec tous ces chiffres, je vous conseille de regarder l'image en haut de la page qui reprend ce travail. Castro est à 1%, dans certains sondages il est même à 0%, c'est clairement un des tout petits candidats, il y a d'après mes calculs 9 candidats mieux placés. Pourtant, le journaliste français ne fait pas mention des sondages et nous emmène à un meeting du candidat sans nous expliquer une seule seconde comment le situer.

Encore une fois, je ne dis pas que Julian Castro ne peut pas remonter dans les sondages, gagner les électeurs démocrates et battre Trump en 2020. Je dis que pour le moment, il est prématuré de le présenter comme l'un des favoris. D'ailleurs, ce n'est pas méchant de ma part, même lui il le dit dans cette interview. (11/04/2019)

Notes

* Apparemment, ils vont nous présenter un autre candidat ce soir. J'ai hâte de découvrir sa position sur le graphique ou même s'il apparaît sur le graphique.

Catégories : Politique USA 2020

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